Au lycée Voillaume à Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis), les enseignants ont fait grève cette semaine. Dans cet établissement, 63% des élèves sont issus de classes sociales défavorisées. Entre l'indifférence de l'administration et celle de certains élèves, pas facile d'enseigner correctement comme le raconte ce professeur.
Vous savez, c'est à nous que vous demandez: "Alors, c'est pas trop dur ?". Nous enseignons en Seine-Saint-Denis, dans un établissement classé en zone prévention violence. Jusqu'à cette année, nous répondions d'un sourire un peu las : "non, ça va, faut pas croire tout ce qu'ils disent à la télé". Remarquez bien qu'il ne faut pas plus le croire aujourd'hui. Nos élèves n'ont pas changé, et nous avons toujours le même plaisir à travailler avec eux, en dépit de difficultés indéniables que nous avons systématiquement surmontées.
Clarté, rigueur et fermeté
C'est Aulnay-sous-Bois. C'est (ce fut) PSA. C'est un lycée de plus de 2.000 élèves, pour plus de 200 enseignants. C'est un public composé à 63% de catégories socio-professionnelles défavorisées. Mais c'est aussi plus de 80% de réussite au bac en 2013. C'est, en somme, un petit coin de République. Alors, qu'est-ce qui ne va plus ? Dans un tel établissement, la réussite de chaque élève requiert clarté, rigueur et fermeté – mais pas seulement dans les salles de cours. L'ensemble de nos supérieurs hiérarchiques, de la direction au Rectorat, doit tenir bon avec nous sur ces trois exigences. Et c'est là que le bât blesse.
De la nonchalance à l'insolence
Parmi les missions que nous n'arrivons plus à assurer : sauver les élèves en décrochage. Depuis le 12 septembre, on signale que l'un d'entre eux dort en cours, bavarde, se présente sans son matériel. Plus le temps passe, moins il comprend ce qu'on attend de lui, et ce qu'il fait là. La nonchalance se mue en indifférence, l'indifférence en inconscience, l'inconscience en hostilité, l'hostilité en insolence. Il est plus que temps, déjà, de convoquer une commission éducative, qui permet de rassembler autour de l'élève enseignants, parents, vie scolaire et direction afin de réfléchir à une solution individualisée.
22 novembre : première tentative : les parents ne sont convoqués que le vendredi pour le mercredi midi. L'élève n'est pas au courant. La commission est reportée.
9 décembre : deuxième tentative : les professeurs principaux ne sont pas informés. La commission est de nouveau reportée.
11 décembre : La direction annonce qu'elle fixera une nouvelle date.
10 janvier : La commission n'a toujours pas eu lieu et l'élève a véritablement décroché.
Or, c'est dans ces moments où l'autorité et l'accompagnement font défaut que des incidents plus graves peuvent survenir. Et dans notre lycée, cela arrive; la politique disciplinaire de la direction révèle alors les mêmes carences.
Violences des élèves et indifférence des supérieurs
Un œuf est lancé à deux reprises en direction d'un enseignant, une bombe lacrymogène est vidée en classe : la direction n'a consenti à réunir des conseils de discipline que suite à l'exercice de notre droit de retrait. D'autres incidents graves restent à ce jour encore non traités. Échec à tous les étages. Comment pourrait-il en être autrement quand, à la discipline et au respect que l'on demande aux élèves, ne répondent de la part de notre hiérarchie aucune clarté, aucune rigueur, aucun respect des temporalités, aucune volonté de concertation ? Mais tant que le lycée survit, ceux qui le font vivre au quotidien ne se heurtent qu'à l'indifférence de leurs supérieurs. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.
Arrivés au terme de cinq jours de mobilisation, nous espérons parvenir à nous faire entendre au-delà des murs réels et symboliques auxquels nous nous heurtons quotidiennement. Nous réaffirmons ici le choix qui est le nôtre : enseigner dans un établissement sensible pour garantir à nos élèves l'égalité des chances et la possibilité de choisir leur avenir. Qu'on nous aide.
Source : http://leplus.nouvelobs.com